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blanches et le rire formidable de Nosdrief . À le voir, on devinait que c’était l’homme du monde le moins apte à la réflexion. Il adorait fouetter et donner les verges, quand il était désigné comme exécuteur. Je me hâte de dire que les autres officiers tenaient Jérébiatnikof pour un monstre, et que les forçats avaient de lui la même opinion. Il y avait dans le bon vieux temps, qui n’est pas si éloigné, dont « le souvenir est vivant, mais auquel on croit difficilement », des exécuteurs qui aimaient leur office. Mais d’ordinaire on faisait donner les verges sans entraînement, tout bonnement.

Ce lieutenant était une exception, un gourmet raffiné, connaisseur en matière d’exécutions. Il était passionné pour son art, il l’aimait pour lui-même. Comme un patricien blasé de la Rome impériale, il demandait à cet art des raffinements, des jouissances contre nature, afin de chatouiller et d’émouvoir quelque peu son âme envahie et noyée dans la graisse. — On conduit un détenu subir sa peine ; c’est Jérébiatnikof qui est l’officier exécuteur ; la vue seule de la longue ligne de soldats armés de grosses verges l’inspire : il parcourt le front d’un air satisfait et engage chacun à accomplir son devoir en toute conscience, sans quoi… Les soldats savaient d’avance ce que signifiait ce sans quoi… Le criminel est amené ; s’il ne connaît pas encore Jérébiatnikof et s’il n’est pas au courant du mystère, le lieutenant lui joue le tour suivant (ce n’est qu’une des inventions de Jérébiatnikof, très-ingénieux pour ce genre de trouvailles). Tout détenu dont on dénude le torse et que les sous-officiers attachent à la crosse du fusil, pour lui faire parcourir ensuite la rue verte tout entière, prie d’une voix plaintive et larmoyante l’officier exécuteur de faire frapper moins fort et de ne pas doubler la punition par une sévérité superflue. — « Votre Noblesse, crie le malheureux, ayez pitié, soyez