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de ce vieillard, simplement parce qu’il fit alors impression sur moi et qu’il m’initia d’emblée à certaines particularités de la salle des détenus. Il avait un fort rhume de cerveau, qui le faisait éternuer à tout moment (il éternua une semaine entière) même pendant son sommeil, comme par salves, cinq ou six fois de suite, en répétant chaque fois : « — Mon Dieu ! quelle punition ! » Assis sur son lit, il se bourrait avidement le nez de tabac, qu’il puisait dans un cornet de papier afin d’éternuer plus fort et plus régulièrement. Il éternuait dans un mouchoir de coton à carreaux qui lui appartenait, tout déteint à force d’être lavé. Son petit nez se plissait alors d’une façon particulière, en se rayant d’une multitude innombrable de petites rides, et laissait voir des dents ébréchées, toutes noires et usées, avec des gencives rouges, humides de salive. Quand il avait éternué, il dépliait son mouchoir, regardait la quantité de morve qu’il avait expulsée et l’essuyait aussitôt à sa robe de chambre brune, si bien que toute la morve s’attachait à cette dernière, tandis que le mouchoir était à peine humide. Cette économie pour un effet personnel, aux dépens de la robe de chambre appartenant à l’hôpital, n’éveillait aucune protestation du côté des forçats, bien que quelques-uns d’entre eux eussent été obligés de revêtir plus tard cette même robe de chambre. On aurait peine à croire combien notre menu peuple est peu dégoûté sous ce rapport. Cela m’agaça si fort que je me mis à examiner involontairement, avec curiosité et répugnance, la robe de chambre que je venais d’enfiler. Elle irritait mon odorat par une exhalaison très-forte ; réchauffée au contact de mon corps, elle sentait les emplâtres et les médicaments ; on eût dit qu’elle n’avait jamais quitté les épaules des malades depuis un temps immémorial. On avait peut-être lavé une fois la doublure, mais je n’en jurerais pas ; en tout cas au moment où je la portais elle était saturée de tous les liquides, épithèmes et vésicatoires imaginables, etc. Les condamnés