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n’est autre que le forçat Kochkine, qui joue parfaitement ce rôle, car il a tout à fait la figure de l’emploi : il explique par gestes son amour pour la meunière, lève les bras au ciel, les ramène sur sa poitrine… — De nouveau on frappe à la porte : un coup vigoureux cette fois ; il n’y a pas à s’y tromper, c’est le maître de la maison. La meunière effrayée perd la tête, le brahmine court éperdu de tous côtés, suppliant qu’on le cache. Elle l’aide à se glisser derrière l’armoire, et se met à filer, à filer, oubliant d’ouvrir la porte ; elle file toujours, sans entendre les coups redoublés de son mari, elle tord le fil qu’elle n’a pas dans la main et fait le geste de tourner le fuseau, qui gît à terre. Sirotkine représentait parfaitement cette frayeur. Le meunier enfonce la porte d’un coup de pied et s’approche de sa femme, son fouet à la main. Il a tout remarqué, car il épiait les visiteurs ; il indique par signes à sa femme qu’elle a trois galants cachés chez lui. Puis il se met à les chercher. Il trouve d’abord le voisin, qu’il chasse de la chambre à coups de poing. Le secrétaire épouvanté veut s’enfuir, il soulève avec sa tête le couvercle du coffre, il se trahit lui-même. Le meunier le cingle de coups de fouet, et pour le coup, le galant secrétaire ne saute plus d’une manière classique. Reste le brahmine que le mari cherche longtemps ; il le trouve dans son coin, derrière l’armoire, le salue poliment et le tire par sa barbe jusqu’au milieu de la scène. Le bramine veut se défendre et crie : « Maudit ! maudit ! » (seuls mots prononcés pendant toute la pantomime) mais le mari ne l’écoute pas et règle le compte de sa femme. Celle-ci, voyant que son tour est arrivé, jette le rouet et le fuseau, et se sauve hors de la chambre ; un pot dégringole : les forçats éclatent de rire. Aléi, sans me regarder, me prend la main et me crie : « Regarde ! regarde ! le brahmine ! » Il ne peut se tenir debout tant il rit. Le rideau tombe, une autre scène commence. Il y en eut encore deux ou trois : toutes fort drôles et