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porter ! Le mari sort. À peine a-t-il tourné les talons que sa femme lui montre le poing. On frappe : la porte s’ouvre ; entre le voisin, meunier aussi de son état ; c’est un paysan barbu en cafetan. Il apporte un cadeau, un mouchoir rouge. La jeune femme rit, mais dès que le compère veut l’embrasser, on entend frapper de nouveau à la porte. Où se fourrer ? Elle le fait cacher sous la table, et reprend son fuseau. Un autre adorateur se présente : c’est le fourrier, eu uniforme de sous-officier. Jusqu’alors la pantomime avait très-bien marché, les gestes étaient irréprochables. Ou pouvait s’étonner de voir ces acteurs improvisés remplir leurs rôles d’une façon aussi correcte, et involontairement on se disait : Que de talents se perdent dans notre Russie, inutilisés dans les prisons et les lieux d’exil ! Le forçat qui jouait le rôle du fourrier avait sans doute assisté à une représentation dans un théâtre de province ou d’amateurs ; il estimait que tous nos acteurs, sans exception, ne comprenaient rien au jeu et ne marchaient pas comme il fallait. Il entra en scène comme les vieux héros classiques de l’ancien répertoire, en faisant un grand pas ; avant d’avoir même levé l’autre jambe, il rejeta la tête et le corps en arrière, et lançant orgueilleusement un regard circulaire, il avança majestueusement d’une autre enjambée. Si une marche semblable était ridicule chez les héros classiques, elle l’était encore bien plus dans une scène comique jouée par un secrétaire. Mais le public la trouvait toute naturelle et acceptait l’allure triomphante du personnage comme un fait nécessaire, sans la critiquer. — Un instant après l’entrée du secrétaire, on frappe encore à la porte : l’hôtesse perd la tête. Où cacher le second galant ? Dans le coffre, qui, heureusement, est ouvert. Le secrétaire y disparaît, la commère laisse retomber le couvercle. Le nouvel arrivant est un amoureux comme les autres, mais d’une espèce particulière. C’est un brahmine en costume. Un rire formidable des spectateurs accueille son entrée. Ce brahmine