Je crois même que les copies de beaucoup de vieilles pièces se sont multipliées, précisément grâce à cette valetaille de hobereaux. Les anciens propriétaires et les seigneurs moscovites avaient leurs propres théâtres sur lesquels jouaient leurs serfs. C’est de là que provient notre théâtre populaire, dont les marques d’origine sont indiscutables. Quant à Kedril le glouton, malgré ma vive curiosité, je ne pus rien en savoir, si ce n’est que les démons apparaissaient sur la scène et emportaient Kedril en enfer. Mais que signifiait ce nom de Kedril ? pourquoi s’appelait-il Kedril, et non Cyrille ? L’action était-elle russe ou étrangère ? je ne pus pas tirer au clair cette question. On annonçait que la représentation se terminerait par une « pantomime en musique ». Tout cela promettait d’être fort curieux. Les acteurs étaient au nombre de quinze, tous gens vifs et décodés. Ils se donnaient beaucoup de mouvement, multipliaient les répétitions, qui avaient lieu quelquefois derrière les casernes, se cachaient, prenaient des airs mystérieux. En un mot, ou voulait nous surprendre par quelque chose d’extraordinaire et d’inattendu.
Les jours de travail, on fermait les casernes de très-bonne heure, à la nuit tombante, mais on faisait une exception pour les fêtes de Noël ; alors on ne mettait les cadenas aux portes qu’à la retraite du soir (neuf heures). Cette faveur avait été accordée spécialement en vue du spectacle. Pendant tout le temps des fêtes, chaque soir, on envoyait une députation prier très-humblement l’officier de garde de « permettre la représentation et ne pas fermer encore la maison de force », en ajoutant qu’il y avait eu représentation la veille, et que pourtant il ne s’était produit aucun désordre. L’officier de garde faisait le raisonnement suivant : Il n’y avait eu aucun désordre, aucune infraction à la discipline le jour du spectacle, et du moment qu’ils donnaient leur parole que la soirée d’aujourd’hui se passerait de la même manière, c’est qu’ils feraient leur police eux-mêmes ; ce serait la plus rigoureuse de toutes. En outre, il savait