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major. Le spectacle réussirait-il comme celui d’il y a deux ans ? etc., etc. Baklouchine m’assura que tous les acteurs étaient « parfaitement à leur place », et qu’il y aurait même un rideau. Le rôle de Philatka serait rempli par Sirotkine. — Vous verrez comme il est bien en habit de femme, disait-il eu clignant de l’œil et en faisant claquer sa langue contre son palais. La propriétaire bienfaisante devait avoir une robe avec des falbalas et des volants, une ombrelle, tandis que le propriétaire portait un costume d’officier avec des aiguillettes et une canne à la main. La pièce dramatique qui devait être jouée en second lieu portait le titre de Kedril le glouton. Ce titre m’intrigua fort, mais j’eus beau faire des questions, je ne pus rien apprendre à l’avance. Je sus seulement que cette pièce n’était pas imprimée ; c’était une copie manuscrite, que l’on tenait d’un sous-officier en retraite du faubourg, lequel avait pour sûr participé autrefois à sa représentation sur une scène militaire quelconque. Nous avons en effet, dans les villes et les gouvernements éloignés, nombre de pièces de ce genre qui, je crois, sont parfaitement ignorées et n’ont jamais été imprimées, mais qui ont apparu d’elles-mêmes au temps voulu pour défrayer le théâtre populaire dans certaines zones de la Russie.

J’ai dit « théâtre populaire » : il serait très-bon que nos investigateurs de la littérature populaire s’occupassent de faire de soigneuses recherches sur ce théâtre, qui existe, et qui peut-être n’est pas si insignifiant qu’on le pense. Je ne puis croire que tout ce que j’ai vu dans notre maison de force fût l’œuvre de nos forçats. Il faut pour cela des traditions antérieures, des procédés établis et des notions transmises de génération en génération. Il faut les chercher parmi les soldats, les ouvriers de fabrique, dans les villes industrielles et même chez les bourgeois de certaines pauvres petites villes ignorées. Ces traditions se sont conservées dans certains villages et dans des chefs-lieux de gouvernement, chez la valetaille de quelques grandes propriétés foncières.