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il y en aura encore une, eh bien ! qu’ils nous dament le pion avec leur costume, c’est possible ! quant à la conversation, c’est une chose à voir ! Le gouverneur lui-même peut en entendre parler — et qui sait ? il viendra peut-être. Ils n’ont pas de théâtre, en ville !… »

En un mot, la fantaisie des forçats, surtout après le premier succès, alla presque jusqu’à s’imaginer qu’on leur distribuerait des récompenses ou qu’on diminuerait le chiffre des travaux forcés, l’instant d’après ils étaient les premiers à rire de bon cœur de leurs imaginations. En un mot, c’étaient des enfants, de vrais enfants, bien qu’ils eussent quarante ans. Je connaissais en gros le sujet de la représentation que l’on se proposait de donner, bien qu’il n’y eût pas d’affiche. Le titre de la première pièce était : Philatka et Mirachka rivaux. Baklouchine se vantait devant moi, une semaine au moins à l’avance, que le rôle de Philatka qu’il s’était adjugé serait joué de telle façon qu’on n’avait rien vu de pareil, même sur les scènes pétersbourgeoiscs. Il se promenait dans les casernes gonflé d’importance, effronté, l’air bonhomme malgré tout ; s’il lui arrivait de dire quelques bouts de son rôle « à la théâtrale », tout le monde éclatait de rire, que le fragment fut amusant ou non, on riait parce qu’il s’était oublié. Il faut avouer que les forçats savaient se contenir et garder leur dignité ; pour s’enthousiasmer des tirades de Baklouchine, il n’y avait que les plus jeunes… gens sans fausse honte, ou bien les plus importants, ceux dont l’autorité était si solidement établie qu’ils n’avaient pas peur d’exprimer nettement leurs sensations, quelles qu’elles fussent. Les autres écoutaient silencieux les bruits et les discussions, sans blâmer ni contredire, mais ils s’efforçaient de leur mieux de se comporter avec indifférence et dédain envers le théâtre. Ce ne fut qu’au dernier moment, le jour même de la représentation, que tout le monde s’intéressa à ce qu’on verrait, à ce que feraient nos camarades. On se demandait ce que pensait le