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tout se passerait tranquillement. Ceux-ci y consentirent avec joie et tinrent religieusement leur promesse : cela les flattait fort qu’on crût en leur parole d’honneur. Ajoutons que cette représentation ne coûtait rien, absolument rien à l’administration ; elle n’avait pas de dépenses à faire. Les places n’avaient pas été marquées à l’avance, car le théâtre se montait et se démontait en moins d’un quart d’heure. Le spectacle devait durer une heure et demie et dans le cas où l’ordre de cesser la représentation serait arrivé à l’improviste, les décorations auraient disparu en un clin d’œil. Les costumes étaient cachés dans les coffres des forçats. Avant tout je dirai comment notre théâtre était construit, quels étaient les costumes, et je parlerai de l’affiche, c’est à dire des pièces que l’on se proposait de jouer.

À vrai dire, il n’y avait pas d’affiche écrite, on n’en fit que pour la seconde et la troisième représentation. Baklouchine la composa pour MM. Les officiers et autres nobles visiteurs qui daignaient honorer le spectacle de leur présence, à savoir : l’officier de garde qui vint une fois, puis l’officier de service préposé aux gardes, enfin un officier du génie ; c’est en l’honneur de ces nobles visiteurs que l’affiche fut écrite.

On supposait que la renommée de notre théâtre s’étendrait au loin dans la forteresse et même en ville, d’autant plus qu’il n’y avait aucun théâtre à N… ; des représentations d’amateurs et rien de plus. Les forçats se réjouissaient du moindre succès, comme de vrais enfants, ils se vantaient. « Qui sait — se disait-on — il se peut que les chefs apprennent cela, et qu’ils viennent voir ; c’est alors qu’ils sauraient ce que valent les forçats, car ce n’est pas une représentation donnée par les soldats, avec des bateaux flottants, des ours et des boucs, mais bien des acteurs, de vrais acteurs qui jouent des comédies faites pour les seigneurs ; dans toute la ville, il n’y a pas un théâtre pareil ! Le général Abrocimof a eu une représentation chez lui, à ce qu’on dit,