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AVERTISSEMENT.

Mais j’ai hâte de laisser la parole à Dostoïevsky. Quelle que soit la fortune de ses Souvenirs, je ne regretterai pas d’avoir plaidé pour eux. C’est si rare et si bon de recommander un livre où l’on est certain que pas une ligne ne peut blesser une âme, que pas un mot ne risque d’éveiller une passion douteuse ; un livre que chacun fermera avec une idée meilleure de l’humanité, avec un peu moins de sécheresse pour les misères d’autrui, un peu plus de courage contre ses propres misères. Voilà, si l’on veut bien y réfléchir, un divin mystère de solidarité. Une affreuse souffrance fut endurée, il y a trente ans, par un inconnu, dans une geôle de Sibérie, presque à nos antipodes ; conservée en secret depuis lors, elle vit, elle sert, elle vient de si loin assainir et fortifier d’autres hommes. C’est la plante aux sucs amers, morte depuis longtemps dans quelque vallée d’un autre hémisphère, et dont l’essence recueillie guérit les plaies de gens qui ne l’ont jamais vue fleurir. Oui, nulle souffrance ne se perd, toute douleur fructifie, il en reste un arome subtil qui se répand indéfiniment dans le monde. Je ne donne point cette vérité pour une découverte ; c’est tout simplement l’admirable doctrine de l’Église sur le trésor des souffrances des saints. Ainsi de bien d’autres inventions qui procurent beaucoup de gloire à tant de beaux esprits ; changez les mots, grattez le vernis de « psychologie expérimentale », reconnaissez la vieille vérité sous la rouille théologique ; des philosophes vêtus de bure avaient aperçu tout cela, il y a quelques centaines d’années, en se relevant la nuit dans un cloître pour interroger leur conscience.