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pénibles travaux au sein de la famille. Le respect des forçats pour ce jour-là avait quelque chose d’imposant ; les riboteurs étaient peu nombreux, presque tout le monde était sérieux et pour ainsi dire occupé, bien qu’ils n’eussent rien à faire pour la plupart. Même ceux qui se permettaient de faire bamboche conservaient un air grave… Le rire semblait interdit. Une sorte de susceptibilité intolérante régnait dans tout le bagne, et si quelqu’un contrevenait au repos général, même involontairement, on le remettait bien vite à sa place, en criant et en jurant ; on se fâchait, comme s’il eût manqué de respect à la fête elle-même. Cette disposition des forçats était remarquable et même touchante. Outre la vénération innée qu’ils ont pour ce grand jour, ils pressentent qu’en observant cette fête, ils sont en communion avec le reste du monde, qu’ils ne sont plus tout à fait des réprouvés, perdus et rejetés par la société, puisqu’à la maison de force on célèbre cette réjouissance comme au dehors. Ils sentaient tout cela, je l’ai vu et compris moi-même.

Akim Akimytch avait aussi fait de grands préparatifs pour la fête : il n’avait pas de souvenirs de famille, étant né orphelin dans une maison étrangère, et entré au service dès l’âge de quinze ans ; il n’avait jamais ressenti de grandes joies, ayant toujours vécu régulièrement, uniformément, dans la crainte d’enfreindre les devoirs qui lui étaient imposés. Il n’était pas non plus fort religieux, car son formalisme avait étouffé tous ses dons humains, toutes ses passions et ses penchants, bons ou mauvais. Il se préparait par conséquent à fêter Noël sans se trémousser ou s’émouvoir particulièrement ; il n’était attristé par aucun souvenir chagrin et inutile ; il faisait tout avec cette ponctualité qui était suffisante pour accomplir convenablement ses devoirs ou pour célébrer une cérémonie fondée une fois pour toutes. D’ailleurs, il n’aimait pas trop à réfléchir. L’importance du fait lui-même n’avait jamais effleuré sa cervelle,