Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/175

Cette page n’a pas encore été corrigée

comme à l’ordinaire, les derniers s’en furent à la démonte, mais ils revinrent presque immédiatement à la maison de force, un à un ou par bandes ; après le dîner, personne ne travailla. Depuis le matin la majeure partie des forçats n’étaient occupés que de leurs propres affaires et non de celles de l’administration : les uns s’arrangeaient pour faire venir de l’eau-de-vie ou en commandaient encore, tandis que les autres demandaient la permission de voir leurs compères et leurs commères, ou rassemblaient les petites sommes qu’on leur devait pour du travail exécuté auparavant. Baklouchine et les forçats qui prenaient part au spectacle cherchaient à décider quelques-unes de leurs connaissances, presque tous brosseurs d’officiers, à leur confier les costumes qui leur étaient nécessaires.

Les uns allaient et venaient d’un air affairé, uniquement parce que d’autres étaient pressés et affairés ; ils n’avaient aucun argent à recevoir, et pourtant ils paraissaient attendre un payement ; en un mot, tout le monde était dans l’expectative d’un changement, de quelque événement extraordinaire. Vers le soir, les invalides qui faisaient les commissions des forçats apportèrent toutes sortes de victuailles : de la viande, des cochons de lait, des oies. Beaucoup de détenus, même les plus simples et les plus économes, qui toute l’année entassaient leurs kopeks, croyaient de leur devoir de faire de la dépense ce jour-là et de célébrer dignement le réveillon. Le lendemain était pour les forçats une vraie fête, à laquelle ils avaient droit, une fête reconnue par la loi. Les détenus ne pouvaient être envoyés au travail ce jour-là : il n’y avait que trois jours semblables dans toute l’année.

Enfin, qui sait combien de souvenirs devaient tourbillonner dans les âmes de ces réprouvés à l’approche d’une pareille solennité ? Dès l’enfance, le petit peuple garde vivement la mémoire des grandes fêtes. Ils devaient se rappeler avec angoisse et tourment ces jours où l’on se repose des