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viendrait encore un autre parent, ancien marchand, maintenant très-pauvre et surveillant dans un débit de liqueurs. Quand j’appris qu’ils décideraient cette affaire le dimanche, je fus si furieux que je ne pus reprendre mon sang-froid. Tout ce jour-là et le suivant, je ne fis que penser. J’aurais, dévoré cet Allemand, je crois.

Le dimanche matin, je n’avais encore rien décidé ; sitôt la messe entendue, je sortis en courant, j’enfilai ma capote et je me rendis chez cet Allemand. Je pensais les trouver tous là. Pourquoi j’allais chez l’Allemand et ce que je voulais dire, je n’en savais rien moi-même. Je glissai un pistolet dans ma poche à tout hasard ; un petit pistolet qui ne valait pas le diable, avec un chien de l’ancien système, — encore gamin je m’en servais pour tirer, — il n’était plus bon à rien. Je le chargeai cependant, parce que je pensais qu’ils me chasseraient, que cet Allemand me dirait des grossièretés, et qu’alors je tirerais mon pistolet pour les effrayer tous. J’arrive. Personne dans l’escalier, ils étaient tous dans l’arrière-boutique. Pas de domestique, l’unique servante était absente. Je traverse le magasin, je vois que la porte est fermée, une vieille porte retenue par un crochet. Le cœur me bat, je m’arrête et j’écoute : on parle allemand. J’enfonce d’un coup de pied la porte qui cède. Je regarde, la table est mise. Il y avait là une grande cafetière, une lampe à esprit-de-vin sur laquelle le café bouillait, et des biscuits. Sur un autre plateau, un carafon d’eau-de-vie, des harengs, de la saucisse et une bouteille de vin quelconque. Louisa et sa tante, toutes deux endimanchées, étaient assises sur le divan. En face d’elles l’Allemand s’étalait sur une chaise, comme un fiancé, quoi ! bien peigné, en frac et collet monté. De l’autre côté il y avait encore un Allemand, déjà vieux celui-là, gros et gris ; il se taisait. Quand j’entrai, Louisa devint toute pâle. La tante se leva d’un bond et se rassit. L’Allemand se fâcha. Était-il colère ! il se leva et me dit en venant à ma rencontre :