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AVERTISSEMENT.

terribles ; le repentir l’a poussé ici, peut-être ! » — Le petit frère convers me regarda d’un air étonné ; évidemment, la vocation de son ancien ne s’était jamais présentée à son esprit sous ce point de vue. — « Nous sommes tous pécheurs ! » répondit-il. Il ajouta, en clignant de l’œil vers le vieillard avec une nuance encore plus marquée de respect et d’admiration : « Sans doute, qu’il se repent : on raconte qu’il a beaucoup aimé les femmes. »

Dostoïevsky parcourt en tous sens ces âmes complexes. Le grand intérêt de son livre, pour les lettrés curieux de formes nouvelles, c’est qu’ils sentiront les mots leur manquer, quand ils voudront appliquer nos formules usuelles aux diverses faces de ce talent. Au premier abord, ils feront appel à toutes les règles de notre catéchisme littéraire, pour y emprisonner ce réaliste, cet impassible, cet impressionniste ; ils continueront, croyant l’avoir saisi, et Protée leur échappera ; son réalisme farouche découvrira une recherche inquiète de l’idéal, son impassibilité laissera deviner une flamme intérieure ; cet art subtil épuisera des pages pour fixer un trait de physionomie et ramassera en une ligne tout le dessin d’une âme. Il faudra s’avouer vaincu, égaré sur des eaux troubles et profondes, dans un grand courant de vie qui porte vers l’aurore.

Je ne me dissimule point les défauts de Dostoïevsky, la lenteur habituelle du trait, le désordre et l’obscurité de la narration, qui revient sans cesse sur elle-même, l’acharnement de myope sur le menu détail, et parfois la complaisance maladive pour le détail répugnant.