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— Eh bien ! Isaï Fomitch, tu iras loin ! Adieu.

Le Juif examina encore une fois les guenilles sur lesquelles il venait de prêter sept kopeks, les plia et les fourra soigneusement dans son sac. Les forçats continuaient à se pâmer de rire.

En réalité, tout le monde l’aimait, et bien que presque chaque détenu fût son débiteur, personne ne l’offensait. Il n’avait, du reste, pas plus de fiel qu’une poule ; quand il vit que tout le monde était bien disposé à son égard, il se donna de grands airs, mais si comiques qu’on les lui pardonna aussitôt,

Louka, qui avait connu beaucoup de Juifs quand il était en liberté, le taquinait souvent, moins par méchanceté que par amusement, comme on joue avec un chien, un perroquet ou des bêtes savantes. Isaï Fomitch ne l’ignorait pas, aussi ne s’offensait-il nullement, et donnait-il prestement la réplique.

— Tu vas voir, Juif ! je te rouerai de coups.

— Si tu me donnes un coup, je t’en rendrai dix, répondait crânement Isaï Fomitch.

— Maudit galeux !

— Que ze sois galeux tant que tu voudras.

— Juif rogneux.

— Que ze sois rogneux tant qu’il te plaira : galeux, mais risse. Z’ai de l’arzent !

— Tu as vendu le Christ.

— Tant que tu voudras.

— Fameux, notre Isaï Fomitch ! un vrai crâne ! N’y touchez pas, nous n’en avons qu’un.

— Eh ! Juif, empoigne un fouet, tu iras en Sibérie !

— Z’y suis dézà, en Sibérie !

— On t’enverra encore plus loin.

— Le Seigneur Dieu y est-il, là-bas ?

— Parbleu, ça va sans dire.

— Alors comme vous voudrez ! tant qu’il y aura le Seigneur Dieu et de l’arzent, — tout va bien.

— Un crâne, notre Isaï Fomitch ! un crâne, on le voit !