le détenu, et qu’à agir en tout selon la loi, se trompent également. L’homme, si abaissé qu’il soit, exige instinctivement du respect pour sa dignité d’homme. Chaque détenu sait parfaitement qu’il est prisonnier, qu’il est un réprouvé, et connaît la distance qui le sépare de ses supérieurs, mais ni stigmate ni chaînes ne lui feront oublier qu’il est un homme. Il faut donc le traiter humainement. Mon Dieu ! un traitement humain peut relever celui-là même en qui l’image divine est depuis longtemps obscurcie. C’est avec les « malheureux » surtout, qu’il faut agir humainement : là est leur salut et leur joie. J’ai rencontré des commandants au caractère noble et bon, et j’ai pu voir quelle influence bienfaisante ils avaient sur ces humiliés. Quelques mots affables dits par eux ressuscitaient moralement les détenus. Ils en étaient joyeux comme des enfants, et aimaient sincèrement leur chef. Une remarque encore : il ne leur plaît pas que leurs chefs soient familiers et par trop bonhommes dans les rapports avec eux. Ils veulent les respecter, et cela même les en empêche. Les détenus sont fiers, par exemple, que leur chef ait beaucoup de décorations, qu’il ait bonne façon, qu’il soit bien noté auprès d’un supérieur puissant, qu’il soit sévère, grave et juste, et qu’il possède le sentiment de sa dignité. Les forçats le préfèrent alors à tous les autres : celui-là sait ce qu’il vaut, et n’offense pas les gens : tout va pour le mieux.
— Il t’en a cuit, je suppose ? demanda tranquillement Kobyline.
— Hein ! Pour cuire, camarades, je l’ai été, cuit, il n’y a pas à dire. Aléi ! donne-moi les ciseaux ! Eh bien ! dites donc, ne jouera-t-on pas aux cartes ce soir ?
— Il y a longtemps que le jeu a été bu, remarqua Vacia ; si on ne l’avait pas vendu pour boire, il serait ici.
— Si !… Les si, on les paye cent roubles à Moscou, remarqua Louka.