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— Voilà comment, que je lui dis : je me jette sur lui et je lui enfonce mon couteau dans le ventre, tout entier ! C’avait été fait lestement. Il trébucha et tomba en gigotant. J’avais jeté mon couteau.

— Allons, vous autres, Toupets, ramassez-le maintenant !

Je ferai ici une digression hors de mon récit. Les expressions « je suis tsar, je suis Dieu » et autres semblables étaient malheureusement trop souvent employées, dans le bon vieux temps, par beaucoup de commandants. Je dois avouer que leur nombre a singulièrement diminué, et que les derniers ont peut-être déjà disparu. Remarquons que ceux qui paradaient ainsi et affectionnaient de semblables expressions, étaient surtout des officiers sortant du rang. Le grade d’officier mettait sens dessus dessous leur cervelle. Après avoir longtemps peiné sous le sac, ils se voyaient tout à coup officiers, commandants et nobles par-dessus le marché ; grâce au manque d’habitude et à la première ivresse de leur avancement, ils se faisaient une idée exagérée de leur puissance et de leur importance, relativement à leurs subordonnés. Devant leurs supérieurs, ces gens-là sont d’une servilité révoltante. Les plus rampants s’empressent même d’annoncer à leurs chefs qu’ils ont été des subalternes et qu’ils « se souviennent de leur place ». Mais envers leurs subordonnés, ce sont des despotes sans mesure. Rien n’irrite plus les détenus, il faut le dire, que de pareils abus. Cette arrogante opinion de sa propre grandeur, cette idée exagérée de l’impunité, engendrent la haine dans le cœur de l’homme le plus soumis et pousse à bout le plus patient. Par bonheur, tout cela date d’un passé presque oublié ; et, même alors, l’autorité supérieure reprenait sévèrement les coupables. J’en sais plus d’un exemple.

Ce qui exaspère surtout les subordonnés, c’est le dédain, la répugnance qu’on manifeste dans les rapports avec eux. Ceux qui croient qu’ils n’ont qu’à bien nourrir et entretenir