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De temps en temps, il se divertit au souvenir de son audace, de ses déchaînements, alors qu’il était un désespéré ; il aime à trouver un benêt devant lequel il se vantera, se pavanera avec une importance décente et auquel il racontera ses hauts faits, en dissimulant bien entendu le désir qu’il a d’étonner par son histoire. « Tiens, voilà l’homme que j’étais ! »

Et avec quel raffinement d’amour-propre prudent il se surveille ! avec quelle négligence paresseuse il débite un pareil récit ! Dans l’accent, dans le moindre mot perce une prétention apprise. Et où ces gens-là l’ont-ils apprise ?

Pendant une des longues soirées des premiers jours de ma réclusion, j’écoutais l’une de ces conversations ; grâce à mon inexpérience, je pris le conteur pour un malfaiteur colossal, au caractère de fer, alors que je me moquais presque de Pétrof. Le narrateur, Louka Kouzmitch, avait mis bas un major, sans autre motif que son bon plaisir. Ce Louka Kouzmitch était le plus petit et le plus fluet de toute notre caserne, il était né dans le Midi : il avait été serf, de ceux qui ne sont pas attachés à la glèbe, mais servent leur maître en qualité de domestique. Il avait quelque chose de tranchant et de hautain, « petit oiseau, mais avec bec et ongles ». Les détenus flairent un homme d’instinct : on le respectait très-peu. Il était excessivement susceptible et plein d’amour-propre. Ce soir-là, il cousait une chemise, assis sur le lit de camp, car il s’occupait de couture. Tout auprès de lui se trouvait un gars borné et stupide, mais bon et complaisant, une espèce de colosse, son voisin le détenu Kobyline. Louka se querellait souvent avec lui en qualité de voisin et le traitait du haut de sa grandeur, d’un air railleur et despotique, que, grâce à sa bonhomie, Kobyline ne remarquait pas le moins du monde. Il tricotait un bas et écoutait Louka d’un air indifférent. Celui-ci parlait haut et distinctement. Il voulait que tout le monde l’entendît, bien qu’il eût l’air de ne s’adresser qu’à Kobyline.