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tout le monde les suit, les suit aveuglément, jusqu’au pied de la muraille, où ils laissent d’ordinaire leur vie. Je ne crois pas que Pétrof ait bien fini : il était marqué pour une fin violente, et s’il n’est pas mort jusqu’à ce jour, c’est que l’occasion ne s’est pas encore présentée. Qui sait, du reste ? Il atteindra peut-être une extrême vieillesse et mourra très-tranquillement, après avoir erré sans but de çà et de là. Mais je crois que M— avait raison, et que ce Pétrof était l’homme le plus déterminé de toute la maison de force.



VIII


LES HOMMES DÉTERMINÉS. — LOUKA.


Il est difficile de parler des gens déterminés ; au bagne comme partout, ils sont rares. On les devine à la crainte qu’ils inspirent, on se gare d’eux. Un sentiment irrésistible me poussa tout d’abord à me détourner de ces hommes, mais je changeai par la suite ma manière de voir, même à l’égard des meurtriers les plus effroyables. Il y a des hommes qui n’ont jamais tué, et pourtant ils sont plus atroces que ceux qui ont assassiné six personnes. On ne sait pas comment se faire une idée de certains crimes, tant leur exécution est étrange. Je dis ceci parce que souvent les crimes commis par le peuple ont des causes étonnantes.

Un type de meurtrier que l’on rencontre assez fréquemment est le suivant : un homme vit tranquille et paisible ; son sort est dur, — il souffre. (C’est un paysan attaché à la glèbe, un serf domestique, un bourgeois ou un soldat.) Il sent tout à coup quelque chose se déchirer en lui : il n’y tient plus et plante son couteau dans la poitrine de son oppresseur ou de son ennemi. Alors sa conduite devient étrange, cet homme outre-passe toute mesure : il a tué son oppresseur, son ennemi : c’est un crime, mais qui s’explique ;