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AVERTISSEMENT.

russe, pas l’ombre d’une antithèse ; il ne sacrifie personne à ses clients, il ne fait pas d’eux des héros ; il nous les montre ce qu’ils sont, pleins de vices et de misères ; seulement, il persiste à chercher en eux le reflet divin, à les traiter en frères déchus, dignes encore de charité. Il ne les voit pas dans un mirage, mais sous le jour simple de la réalité ; il les dépeint avec l’accent de la vérité vivante, avec cette juste mesure qu’on ne définit point à l’avance, mais qui s’impose peu à peu au lecteur et contente la raison.

Une autre catégorie de modèles pose devant le peintre : les autorités du bagne, fonctionnaires et gens de police, les tristes maîtres de ce triste peuple. On retrouvera dans leurs portraits la même sobriété d’indignation, la même équanimité. Rien ne trahit chez Dostoïevsky l’ombre d’un ressentiment personnel, ni ce que nous appellerions l’esprit d’opposition. Il explique, il excuse presque la brutalité et l’arbitraire de ces hommes par la perversion fatale qu’entraîne le pouvoir absolu. Il dit quelque part : « Les instincts d’un bourreau existent en germe dans chacun de nos contemporains. » L’habitude et l’absence de frein développent ces instincts, parallèlement à des qualités qui forcent la sympathie. Il en résulte un bourreau bon garçon, une réduction de Néron, c’est-à-dire un type foncièrement vrai. On remarquera dans ce genre l’officier Smékalof, qui prend tant de plaisir à voir administrer les verges ; les forçats raffolent de lui, parce qu’il les fustige drôlement.

— C’est un farceur, un cœur d’or, disent-ils à l’envi.