l’avait enfermé une année avant moi, avec deux autres camarades, des nobles également. — L’un d’eux, un vieillard, priait Dieu nuit et jour (les détenus le respectaient fort à cause de cela), il mourut durant ma réclusion. L’autre était un tout jeune homme, frais et vermeil, fort et courageux, qui avait porté son camarade B…, pendant sept cents verstes, ce dernier tombant de fatigue au bout d’une demi-étape. Aussi fallait-il voir leur amitié. B… était un homme parfaitement bien élevé, d’un caractère noble et généreux, mais gâté et irrité par la maladie. Nous tournions donc la roue à nous deux, et cette besogne nous intéressait. Quant à moi, je trouvais cet exercice excellent.
J’aimais particulièrement pelleter la neige, ce que nous faisions après les tourbillons assez fréquents en hiver. Quand le tourbillon avait fait rage tout un jour, plus d’une maison était ensevelie jusqu’aux fenêtres, quand elle n’était pas entièrement recouverte. L’ouragan cessait, le soleil reparaissait, et on nous ordonnait de dégager les constructions barricadées par des tas de neige. On nous y envoyait par grandes bandes, et quelquefois même tous les forçats ensemble. Chacun de nous recevait une pelle et devait exécuter une tâche, dont il semblait souvent impossible de venir à bout ; tous se mettaient allègrement au travail. La neige friable ne s’était pas encore tassée et n’était gelée qu’a la surface ; on en prenait d’énormes pelletées, que l’on dispersait autour de soi. Elle se transformait dans l’air en une poudre brillante. La pelle s’enfonçait facilement dans la masse blanche, étincelante au soleil. Les forçats exécutaient presque toujours ce travail avec gaieté : l’air froid de l’hiver, le mouvement les animaient. Chacun se sentait plus joyeux : on entendait des rires, des cris, des plaisanteries. On se jetait des boules de neige, ce qui excitait au bout d’un instant l’indignation des gens raisonnables, qui n’aimaient ni le rire ni la gaieté ; aussi l’entrain général finissait-il presque toujours par des injures.