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Mettez bas la barque ; vous irez ensuite à la maison. Commencez !

Les détenus se mirent à la besogne, mais de mauvaise grâce, indolemment, en apprentis. On comprenait l’irritation des chefs en voyant cette troupe de vigoureux gaillards, qui semblaient ne pas savoir par où commencer la besogne. Sitôt qu’on enleva la première liure, toute petite, elle se cassa net.

« Elle s’est cassée toute seule », dirent les forçats au commissaire, en manière de justification ; on ne pouvait pas travailler de cette manière ; il fallait s’y prendre autrement. Que faire ? Une longue discussion s’ensuivit entre les détenus, peu à peu on en vint aux injures ; cela menaçait même d’aller plus loin… Le commissaire cria de nouveau en agitant son bâton, mais la seconde liure se cassa comme la première. On reconnut alors que les haches manquaient et qu’il fallait d’autres instruments. On envoya deux gars sous escorte chercher des outils à la forteresse ; en attendant leur retour, les autres forçats s’assirent sur la barque le plus tranquillement du monde, tirèrent leurs pipes et se remirent à fumer. Finalement, le commissaire cracha de mépris.

— Allons, le travail que vous faites ne vous tuera pas ! Oh ! quelles gens ! quelles gens ! — grommela-t-il d’un air de mauvaise humeur ; il fit un geste de la main et s’en fut à la forteresse en brandissant son bâton.

Au bout d’une heure arriva le conducteur. Il écouta tranquillement les forçats, déclara qu’il donnait comme tâche quatre liures entières à dégager, sans qu’elles fussent brisées, et une partie considérable de la barque à démolir ; une fois ce travail exécuté, les détenus pouvaient s’en retourner à la maison. La tâche était considérable, mais, mon Dieu ! comme les forçats se mirent à l’ouvrage ! Où étaient leur paresse, leur ignorance de tout à l’heure ? Les haches entrèrent bientôt en danse et firent sortir les chevilles. Ceux