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la rivière, en avançant à peine. Différents « directeurs » apparurent, directeurs en paroles du moins. On ne devait pas démolir la barque à tort et à travers, mais conserver intactes les poutres et surtout les liures transversales, fixées dans toute leur longueur au fond de la barque au moyen de chevilles, — travail long et fastidieux.

— Il faut tirer avant tout cette poutrelle ! Allons, enfants ! cria un forçat qui n’était ni « directeur » ni « commandant », mais simple ouvrier ; cet homme paisible, mais un peu bête, n’avait pas encore dit un mot ; il se courba, saisit à deux mains une poutre épaisse, attendant qu’on l’aidât. Mais personne ne répondit à son appel.

— Va-t’en voir ! tu ne la soulèveras pas ; ton grand-père, l’ours, n’y parviendrait pas, — murmura quelqu’un entre ses dents.

— Eh bien, frères, commence-t-on ? Quant à moi, je ne sais pas trop…, dit d’un air embarrassé celui qui s’était mis en avant, en abandonnant la poutre et en se redressant.

— Tu ne feras pas tout le travail à toi seul ?… qu’as-tu à t’empresser ?

— Mais, camarades, c’est seulement comme ça que je disais…, s’excusa le pauvre diable désappointé.

— Faut-il décidément vous donner des couvertures pour vous réchauffer, ou bien faut-il vous saler pour l’hiver ? cria de nouveau le sous-officier commissaire, en regardant ces vingt hommes qui ne savaient trop par où commencer. — Commencez ! plus vite !

— On ne va jamais bien loin quand on se dépêche, Ivan Matvieitch !

— Mais tu ne fais rien du tout, eh ! Savélief ! Qu’as-tu à rester les yeux écarquillés ? les vends-tu, par hasard ?… Allons, commencez !

— Que ferai-je tout seul ?

— Donnez-nous une tâche, Ivan Matvieitch.

— Je vous ai dit que je ne donnerai point de tâches.