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Le quatrième jour, les forçats s’alignèrent de grand matin sur deux rangs, dans la cour devant le corps de garde, près des portes de la prison. Devant et derrière eux, des soldats, le fusil chargé et la baïonnette au canon.

Le soldat a le droit de tirer sur le forçat, si celui-ci essaye de s’enfuir, mais en revanche, il répond de son coup de fusil, s’il ne l’a pas fait en cas de nécessité absolue ; il en est de même pour les révoltes de prisonniers ; mais qui penserait à s’enfuir ostensiblement ?

Un officier du génie arriva accompagné du conducteur ainsi que des sous-officiers de bataillons, d’ingénieurs et de soldats préposés aux travaux. On fit l’appel ; les forçats qui se rendaient aux ateliers de tailleurs partirent les premiers ; ceux-là travaillaient dans la maison de force qu’ils habillaient tout entière. Puis les autres déportés se rendirent dans les ateliers, jusqu’à ce qu’enfin arriva le tour des détenus désignés pour la corvée. J’étais de ce nombre, — nous étions vingt. — Derrière la forteresse, sur la rivière gelée, se trouvaient deux barques appartenant à l’État, qui ne valaient pas le diable et qu’il fallait démonter, afin de ne pas laisser perdre le bois sans profit. À vrai dire, il ne valait pas grand’chose, car dans la ville le bois de chauffage était à un prix insignifiant. Tout le pays est couvert de forêts.

On nous donnait ce travail afin de ne pas nous laisser les bras croisés. On le savait parfaitement, aussi se mettait-on toujours à l’ouvrage avec mollesse et apathie ; c’était tout juste le contraire quand le travail avait son prix, sa raison d’être, et quand on pouvait demander une tâche déterminée. Les travailleurs s’animaient alors, et bien qu’ils ne dussent tirer aucun profit de leur besogne, j’ai vu des détenus s’exténuer afin d’avoir plus vite fini ; leur amour-propre entrait en jeu.

Quand un travail — comme celui dont je parlais — s’accomplissait plutôt pour la forme que par nécessité, on