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AVERTISSEMENT.

grand renom, et l’assurance intime d’avoir été remis malgré lui dans sa voie. Le destin rit sur nos revers et nos réussites ; il culbute nos combinaisons et nous dispense le bien ou le mal en raison inverse de notre raison. Quand on écoute ce rire perpétuel, dans l’histoire de chaque homme et de chaque jour, on se trouve niais de souhaiter quelque chose.

Pourtant l’épreuve était cruelle, on le verra de reste en lisant les pages qui la racontent. Notre auteur feint d’avoir trouvé ce récit dans les papiers d’un ancien déporté, criminel de droit commun, qu’il nous représenta comme un repenti digne de toute indulgence. Plusieurs des personnages qu’il met en scène appartiennent à la même catégorie. C’étaient là des concessions obligées à l’ombrageuse censure du temps ; cette censure n’admettait pas qu’il y eût des condamnés politiques en Russie. Il faut tenir compte de cette fiction, il faut se souvenir en lisant que le narrateur et quelques-uns de ses codétenus sont des gens d’honneur, de haute éducation. Cette transposition, que le lecteur russe fait de lui-même, est indispensable pour rendre tout leur relief aux sentiments, aux contrastes des situations. Ce qui n’est pas un hommage à la censure, mais un tour d’esprit particulier à l’écrivain, c’est la résignation, la sérénité, parfois même le goût de la souffrance avec lesquels il nous décrit ses tortures. Pas un mot enflé ou frémissant, pas une invective devant les atrocités physiques et morales où l’on attend que l’indignation éclate ; toujours le ton d’un fils soumis, châtié par un père barbare, et qui murmure à peine : « C’est