Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/98

Cette page n’a pas encore été corrigée

e est un charmeur ! Il vous est également indifférent de sacrifier votre vie et celle d’autrui. Vous êtes précisément l’homme qu’il faut. C’est de vous que j’ai besoin. En dehors de vous je ne connais personne. Vous êtes un chef, un soleil ; moi, je ne suis à côté de vous qu’un ver de terre…

Tout à coup il baisa la main de Nicolas Vsévolodovitch. Ce dernier sentit un froid lui passer dans le dos ; effrayé, il retira vivement sa main. Les deux hommes s’arrêtèrent.

— Insensé ! fit à voix basse Stavroguine.

— Je délire peut-être, reprit aussitôt Verkhovensky, — oui, je bats peut-être la campagne, mais j’ai imaginé de faire le premier pas. C’est une idée que Chigaleff n’aurait jamais eue. Il ne manque pas de Chigaleffs ! Mais un homme, un seul homme en Russie s’est avisé de faire le premier pas, et il sait comment s’y prendre. Cet homme, c’est moi. Pourquoi me regardez-vous ? Vous m’êtes indispensable ; sans vous, je suis un zéro, une mouche, je suis une idée dans un flacon, un Colomb sans Amérique.

Stavroguine regardait fixement les yeux égarés de son interlocuteur.

— Écoutez, nous commencerons par fomenter le désordre, poursuivit avec une volubilité extraordinaire Pierre Stépanovitch, qui, à chaque instant, prenait Nicolas Vsévolodovitch par la manche gauche de son vêtement. — Je vous l’ai déjà dit : nous pénètrerons dans le peuple même. Savez-vous que déjà maintenant nous sommes terriblement forts ? Les nôtres ne sont pas seulement ceux qui égorgent, qui incendient, qui font des coups classiques ou qui mordent. Ceux-là ne sont qu’un embarras. Je ne comprends rien sans discipline. Moi, je suis un coquin et non un socialiste, ha, ha ! Écoutez, je les ai tous comptés. Le précepteur qui se moque avec les enfants de leur dieu et de leur berceau, est des nôtres. L’avocat qui défend un assassin bien élevé en prouvant qu’il était plus instruit que ses victimes et que, pour se procurer de l’argent, il ne pouvait pas ne pas tuer, est des nôtres. Les écoliers qui, pour éprouver une s