nsé à livrer le monde au pape. Qu’il sorte pieds nus de son palais, qu’il se montre à la populace en disant : « Voilà à quoi l’on m’a réduit ! » et tout, même l’armée, se prosternera à ses genoux. Le pape en haut, nous autour de lui, et au-dessous de nous le chigalévisme. Il suffit que l’Internationale s’entende avec le pape, et il en sera ainsi. Quant au vieux, il consentira tout de suite ; c’est la seule issue qui lui reste ouverte. Vous vous rappellerez mes paroles, ha, ha, ah ! C’est bête ? Dites, est-ce bête, oui ou non ?
— Assez, grommela avec colère Stavroguine.
— Assez ! écoutez, j’ai lâché le pape ! Au diable le chigalévisme ! Au diable le pape ! Ce qui doit nous occuper, c’est le mal du jour, et non le chigalévisme, car ce système est un article de bijouterie, un idéal réalisable seulement dans l’avenir. Chigaleff est un joaillier et il est bête comme tout philanthrope. Il faut faire le gros ouvrage, et Chigaleff le méprise. Écoutez : à l’Occident il y aura le pape, et ici, chez nous, il y aura vous !
— Laissez-moi, homme ivre ! murmura Stavroguine, et il pressa le pas.
— Stavroguine, vous êtes beau ! s’écria avec une sorte d’exaltation Pierre Stépanovitch, — savez-vous que vous êtes beau ? Ce qu’il y a surtout d’exquis en vous, c’est que parfois vous l’oubliez. Oh ! je vous ai bien étudié ! Souvent je vous observe du coin de l’œil, à la dérobée ! Il y a même en vous de la bonhomie. J’aime la beauté. Je suis nihiliste, mais j’aime la beauté. Est-ce que les nihilistes ne l’aiment pas ? Ce qu’ils n’aiment pas, c’est seulement les idoles ; eh bien, moi, j’aime les idoles ; vous êtes la mienne ! Vous n’offensez personne, et vous êtes universellement détesté ; vous considérez tous les hommes comme vos égaux, et tous ont peur de vous ; c’est bien. Personne n’ira vous frapper sur l’épaule. Vous êtes un terrible aristocrate, et, quand il vient à la démocratie, l’aristocrat