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— Eh bien, que vous importe Chatoff ? De quel intérêt est-il pour vous ? répliqua Verkhovensky d’une voix étranglée ; il était hors de lui, et, probablement sans le remarquer, avait saisi Stavroguine par le coude. — Écoutez, je vous le cèderai, réconcilions-nous. Votre compte est fort chargé, mais… réconcilions-nous !

Nicolas Vsévolodovitch le regarda enfin et resta stupéfait. Combien Pierre Stépanovitch différait maintenant de ce qu’il avait toujours été, de ce qu’il était tout à l’heure encore dans l’appartement de Kiriloff ! Non seulement son visage n’était plus le même, mais sa voix aussi avait changé ; il priait, implorait. Il ressemblait à un homme qui vient de se voir enlever le bien le plus précieux et qui n’a pas encore eu le temps de reprendre ses esprits.

— Mais qu’avez-vous ? cria Stavroguine.

Pierre Stépanovitch ne répondit point, et continua à le suivre en fixant sur lui son regard suppliant, mais en même temps inflexible.

— Réconcilions-nous ! répéta-t-il de nouveau à voix basse. — Écoutez, j’ai, comme Fedka, un couteau dans ma botte, mais je veux me réconcilier avec vous.

— Mais pourquoi vous accrochez-vous ainsi à moi, à la fin, diable ? vociféra Nicolas Vsévolodovitch aussi surpris qu’irrité. - — Il y a là quelque secret, n’est-ce pas ? Vous avez trouvé en moi un talisman ?

— Écoutez, nous susciterons des troubles, murmura rapidement et presque comme dans un délire Pierre Stépanovitch. — Vous ne croyez pas que nous en provoquions ? Nous produirons une commotion qui fera trembler jusque dans ses fondements tout l’ordre de choses. Karmazinoff a raison de dire qu’on ne peut s’appuyer sur rien. Karmazinoff est fort intelligent. Que j’aie en Russie seulement dix sections comme celle-ci, et je suis insaisissable.

— Ces sections seront toujours composées d’imbéciles comme ceux- ci, ne put s’empêcher d’observer Stavroguine.

— Oh ! soyez vous-même un peu plus bête, Stavroguine ! Vous savez,