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— Oui, je l’ai vu ; son prix est aussi quinze cents roubles… Mais, tenez, il va lui-même le confirmer, il est là… dit en tendant le bras Nicolas Vsévolodovitch.

Pierre Stépanovitch se retourna vivement. Sur le seuil émergeait de l’obscurité une nouvelle figure, celle de Fedka. Le vagabond était vêtu d’une demi-pelisse, mais sans chapka, comme un homme qui est chez lui ; un large rire découvrait ses dents blanches et bien rangées ; ses yeux noirs à reflet jaune furetaient dans la chambre et observaient les « messieurs ». Il y avait quelque chose qu’il ne comprenait pas ; évidemment Kiriloff était allé le chercher tout à l’heure ; Fedka l’interrogeait du regard et restait debout sur le seuil qu’il semblait ne pouvoir se résoudre à franchir.

— Sans doute il ne se trouve pas ici par hasard : vous vouliez qu’il nous entendît débattre notre marché, ou même qu’il me vît vous remettre l’argent, n’est-ce pas ? demanda Stavroguine, et, sans attendre la réponse, il sortit. En proie à une sorte de folie, Verkhovensky se mit à sa poursuite et le rejoignit sous la porte cochère.

— Halte ! Pas un pas ! cria-t-il en lui saisissant le coude.

Stavroguine essaya de se dégager par une brusque saccade, mais il n’y réussit point. La rage s’empara de lui : avec sa main gauche il empoigna Pierre Stépanovitch par les cheveux, le lança de toute sa force contre le sol et s’éloigna. Mais il n’avait pas fait trente pas que son persécuteur le rattrapait de nouveau.

— Réconcilions-nous, réconcilions-nous, murmura Pierre Stépanovitch d’une voix tremblante.

Nicolas Vsévolodovitch haussa les épaules, mais il continua de marcher sans retourner la tête.

— Écoutez, demain je vous amènerai Élisabeth Nikolaïevna, voulez- vous ? Non ? Pourquoi donc ne répondez-vous pas ? Parlez, ce que vous voudrez, je le ferai. Écoutez : je vous accorderai la grâce de Chatoff, voulez-vous ?

— C’est donc vrai que vous avez résolu de l’assassiner ? s’écria Nicolas Vsévolodovitch.