— Vous avez reçu de votre père de l’argent pour votre domaine, observa avec calme Nicolas Vsévolodovitch. — Maman vous a versé six ou huit mille roubles pour Stépan Trophimovitch. Eh bien, payez ces quinze cents roubles de votre poche. Je ne veux plus payer pour les autres, j’ai déjà assez déboursé comme cela, c’est ennuyeux à la fin… acheva-t-il en souriant lui-même de ses paroles.
— Ah ! vous commencez à plaisanter…
Stavroguine se leva, Verkhovensky se dressa d’un bond et machinalement se plaça devant la porte comme s’il eût voulu en défendre l’approche. Nicolas Vsévolodovitch faisait déjà un geste pour l’écarter, quand soudain il s’arrêta.
— Je ne vous cèderai pas Chatoff, dit-il.
Pierre Stépanovitch frissonna ; ils se regardèrent l’un l’autre.
— Je vous ai dit tantôt pourquoi vous avez besoin du sang de Chatoff, poursuivit Stavroguine dont les yeux lançaient des flammes. — C’est le ciment avec lequel vous voulez rendre indissoluble l’union de vos groupes. Tout à l’heure vous vous y êtes fort bien pris pour expulser Chatoff : vous saviez parfaitement qu’il se refuserait à dire : « Je ne dénoncerai pas », et qu’il ne s’abaisserait point à mentir devant nous. Mais moi, pour quel objet vous suis-je nécessaire maintenant ? Depuis mon retour de l’étranger, je n’ai pas cessé d’être en butte à vos obsessions. Les explications que jusqu’à présent vous m’avez données de votre conduite sont de pures extravagances. En ce moment vous insistez pour que je donne quinze cents roubles à Lébiadkine, afin de fournir à Fedka l’occasion de l’assassiner. Je le sais, vous supposez que je veux en même temps me débarrasser de ma femme. En me liant par une solidarité criminelle, vous espérez prendre de l’empire sur moi, n’est-ce pas ? Vous comptez me dominer ? Pourquoi y tenez-vous ? À quoi, diable, vous suis-je bon ? Regardez-moi bien une fois pour toutes : est-ce que je suis votre homme ? Laissez-moi en repos.
— Fedka lui-même est allé vous trouver ? articula avec effort Pierre Stépanovitch.