— Eh bien, qu’il y aille.
— Comment, qu’il y aille ? Il ne faut pas tolérer cela, surtout si l’on peut l’empêcher.
— Vous vous trompez, il ne dépend pas de moi. D’ailleurs, cela m’est égal ; moi, il ne me menace nullement, c’est vous seul qui êtes visé dans sa lettre.
— Vous l’êtes aussi.
— Je ne crois pas.
— Mais d’autres peuvent ne pas vous épargner, est-ce que vous ne comprenez pas cela ? Écoutez, Stavroguine, c’est seulement jouer sur les mots. Est-il possible que vous regardiez à la dépense ?
— Est-ce qu’il faut de l’argent ?
— Assurément, deux mille roubles ou, au minimum, quinze cents. Donnez-les moi demain ou même aujourd’hui, et demain soir je vous l’expédie à Pétersbourg ; du reste, il a envie d’y aller. Si vous voulez, il partira avec Marie Timoféievna, notez cela.
Pierre Stépanovitch était fort troublé, il ne surveillait plus son langage, et des paroles inconsidérées lui échappaient. Stavroguine l’observait avec étonnement.
— Je n’ai pas de raison pour éloigner Marie Timoféievna.
— Peut-être même ne voulez-vous pas qu’elle s’en aille ? dit avec un sourire ironique Pierre Stépanovitch.
— Peut-être que je ne le veux pas.
Verkhovensky perdit patience et se fâcha.
— En un mot, donnerez-vous l’argent ou ne le donnerez-vous pas ? demanda-t-il en élevant la voix comme s’il eût parlé à un subordonné. Nicolas Vsévolodovitch le regarda sérieusement.
— Je ne le donnerai pas.
— Eh ! Stavroguine ! Vous savez quelque chose, ou vous avez déjà donné de l’argent ! Vous… vous amusez !
Le visage de Pierre Stépanovitch s’altéra, les coins de sa bouche s’agitèrent, et tout à coup il partit d’un grand éclat de rire qui n’avait aucune raison d’être.