ans de distance les destinées de l’humanité, alors que dans l’intervalle, le despotisme avalera les bons morceaux qui passeront à portée de votre bouche et que vous laisserez échapper ? Ou bien préférez-vous la solution prompte qui, n’importe comment, mettra enfin l’humanité à même de s’organiser socialement non pas sur le papier, mais en réalité ? On fait beaucoup de bruit à propos des « cent millions de têtes » ; ce n’est peut-être qu’une métaphore, mais pourquoi reculer devant ce programme si, en s’attardant aux rêveries des barbouilleurs de papier, on permet au despotisme de dévorer durant quelques cent ans non pas cent millions de têtes, mais cinq cents millions ? Remarquez encore qu’un malade incurable ne peut être guéri, quelques remèdes qu’on lui prescrive sur le papier ; au contraire, si nous n’agissons pas tout de suite, la contagion nous atteindra nous-mêmes, elle empoisonnera toutes les forces fraîches sur lesquelles on peut encore compter à présent, et enfin c’en sera fait de nous tous. Je reconnais qu’il est extrêmement agréable de pérorer avec éloquence sur le libéralisme, et qu’en agissant on s’expose à recevoir des horions… Du reste, je ne sais pas parler, je suis venu ici parce que j’ai des communications à faire ; en conséquence, je prie l’honorable société, non pas de voter, mais de déclarer franchement et simplement ce qu’elle préfère : marcher dans le marais avec la lenteur de la tortue, ou le traverser à toute vapeur.
— Je suis positivement d’avis qu’on le traverse à toute vapeur ! cria le collégien dans un transport d’enthousiasme.
— Moi aussi, opina Liamchine.
— Naturellement le choix ne peut être douteux, murmura un officier ; un autre en dit autant, puis un troisième. L’assemblée, dans son ensemble, était surtout frappée de ce fait que Verkhovensky avait promis des « communications ».
— Messieurs, je vois que presque tous se décident dans le sens des proclamations, dit-il en parcourant des yeux la société.
— Tous, tous ! crièrent la plupart des assistants.