e bavarder, et je reçois du gouvernement un tchin en récompense de mes efforts pour le bien public. Mais si je me rallie à la solution rapide, à celle qui réclame cent millions de têtes, qu’est-ce que j’y gagne personnellement ? Dès que vous vous mettez à faire de la propagande, on vous coupe la langue.
— À vous on la coupera certainement, dit Verkhovensky.
— Vous voyez. Or, comme, en supposant les conditions les plus favorables, un pareil massacre ne sera pas achevé avant cinquante ans, n’en mettons que trente si vous voulez (vu que ces gens-là ne sont pas des moutons et ne se laisseront pas égorger sans résistance), ne vaudrait-il pas mieux prendre toutes ses affaires et se transporter dans quelque île de l’océan Pacifique pour y finir tranquillement ses jours ? Croyez-le, ajouta-t-il en frappant du doigt sur la table, — par une telle propagande vous ne ferez que provoquer l’émigration, rien de plus !
Le boiteux prononça ces derniers mots d’un air triomphant. C’était une des fortes têtes de la province. Lipoutine souriait malicieusement, Virguinsky avait écouté avec une certaine tristesse ; tous les autres, surtout les dames et les officiers, avaient suivi très attentivement la discussion. Chacun comprenait que l’homme aux cent millions de têtes était collé au mur, et l’on se demandait ce qui allait résulter de là.
— Au fait, vous avez raison, répondit d’un ton plus indifférent que jamais, et même avec une apparence d’ennui, Pierre Stépanovitch. — L’émigration est une bonne idée. Pourtant, si, malgré tous les désavantages évidents que vous prévoyez, l’œuvre commune recrute de jour en jour un plus grand nombre de champions, elle pourra se passer de votre concours. Ici, batuchka, c’est une religion nouvelle qui se substitue à l’ancienne, voilà pourquoi les recrues sont si nombreuses, et ce fait a une grande importance. Émigrez. Vous savez, je vous conseillerais de vous retirer à Dresde plutôt que dans une île de l’océan Pacifique. D’abord, c’est une ville qui n’a jamais vu aucune épidémie, et, en votre qualité