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— Je vous demande si vous désirez parler, et non si vous voulez du cognac.

— Parler ? Sur quoi ? Non, je n’y tiens pas.

— On va vous apporter du cognac, répondit madame Virguinsky à Pierre Stépanovitch.

L’étudiante se leva. Depuis longtemps on voyait qu’elle attendait avec impatience le moment de placer un discours.

— Je suis venue faire connaître les souffrances des malheureux étudiants et les efforts tentés partout pour éveiller en eux l’esprit de protestation…

Force fut à mademoiselle Virguinsky d’en rester là, car à l’autre bout de la salle surgit un concurrent qui attira aussitôt l’attention générale. Sombre et morne comme toujours, Chigaleff, l’homme aux longues oreilles, se leva lentement, et, d’un air chagrin, posa sur la table un gros cahier tout couvert d’une écriture extrêmement fine. Il ne se rassit point et garda le silence. Plusieurs jetaient des regards inquiets sur le volumineux manuscrit ; au contraire, Lipoutine, Virguinsky et le professeur boiteux paraissaient éprouver une certaine satisfaction.

— Je demande la parole, fit d’une voix mélancolique, mais ferme, Chigaleff.

— Vous l’avez, répondit Virguinsky.

L’orateur s’assit, se recueillit pendant une demi-minute et commença gravement :

— Messieurs…

— Voilà le cognac ! dit d’un ton méprisant la demoiselle sans sourcils qui avait servi le thé ; en même temps, elle plaçait devant Pierre Stépanovitch un carafon de cognac et un verre à liqueur qu’elle avait apportés sans plateau ni assiette, se contentant de les tenir à la main.

L’orateur interrompu attendit silencieux et digne.

— Cela ne fait rien, continuez, je n’écoute pas, cria Verkhovensky en se versant un verre de cognac.

— Messieurs, reprit Chigaleff, — en m’adressant à votre attention, et, comme vous le verrez plus loin, en