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d’une voix douce le professeur boiteux, qui jusqu’alors n’avait pas prononcé un mot et s’était distingué par sa bonne tenue : — je désirerais savoir si nous sommes ici en séance, ou si nous ne formons qu’une réunion de simples mortels venus en visite. Je demande cela plutôt pour l’ordre, et afin de ne pas rester dans l’incertitude.

Cette « malicieuse » question produisit son effet ; tous se regardèrent les uns les autres, chacun paraissant attendre une réponse de son voisin ; puis, brusquement, comme par un mot d’ordre, tous les yeux se fixèrent sur Verkhovensky et sur Stavroguine.

— Je propose simplement de voter sur la question de savoir si nous sommes, oui ou non, en séance, déclara madame Virguinsky.

— J’adhère complètement à la proposition, dit Lipoutine, — quoiqu’elle soit un peu indéterminée.

— Moi aussi, moi aussi, entendit-on de divers côtés.

— Il me semble en effet que ce sera plus régulier, approuva à son tour Virguinsky.

— Ainsi aux voix ! reprit Arina Prokhorovna. — Liamchine, mettez- vous au piano, je vous prie ; cela ne vous empêchera pas de voter au moment du scrutin.

— Encore ! cria Liamchine ; — j’ai déjà fait assez de tapage comme cela.

— Je vous en prie instamment, jouez ; vous ne voulez donc pas être utile à l’œuvre commune ?

— Mais je vous assure, Arina Prokhorovna, que personne n’est aux écoutes. C’est seulement une idée que vous avez. D’ailleurs, les fenêtres sont hautes, et lors même que quelqu’un chercherait à nous entendre, cela lui serait impossible.

— Nous ne nous entendons pas nous-mêmes, grommela un des visiteurs.

— Et moi, je vous dis que les précautions sont toujours bonnes. Pour le cas où il y aurait des espions, expliqua-t-elle à Verkhovensky, — il faut que nous ayons l’air d’être en fête et que la musique s’entende de la rue.