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religieux s’évanouissent ; en général, j’ai remarqué que la foi est toujours plus faible pendant la journée.

Pierre Stépanovitch bâillait à se décrocher la mâchoire.

— Est-ce qu’on ne va pas jouer aux cartes ? demanda-t-il à madame Virguinsky.

— Je m’associe entièrement à votre question ! déclara l’étudiante qui était devenue pourpre d’indignation en entendant les paroles du major.

— On perd un temps précieux à écouter des conversations stupides, observa la maîtresse de la maison, et elle regarda sévèrement son mari.

— Je me proposais, dit mademoiselle Virguinsky, — de signaler à la réunion les souffrances et les protestations des étudiants ; mais, comme le temps se passe en conversations immorales…

— Rien n’est moral, ni immoral ! interrompit avec impatience le collégien.

— Je savais cela, monsieur le gymnasiste, longtemps avant qu’on vous l’ait enseigné.

— Et moi, j’affirme, répliqua l’adolescent irrité, — que vous êtes un enfant venu de la capitale pour nous éclairer tous, alors que nous en savons autant que vous. Depuis Biélinsky, nul n’ignore en Russie l’immoralité du précepte : « Honore ton père et ta mère », que, par parenthèses, vous avez cité en l’estropiant.

— Est-ce que cela ne finira pas ? dit résolument Arina Prokhorovna à son mari.

Comme maîtresse de maison, elle rougissait de ces conversations insignifiantes, d’autant plus qu’elle remarquait des sourires et même des marques de stupéfaction parmi les invités qui n’étaient pas des visiteurs habituels.

Virguinsky éleva soudain la voix :

— Messieurs, si quelqu’un a une communication à faire ou désire traiter un sujet se rattachant plus directement à l’œuvre commune, je l’invite à commencer sans retard.

— Je prendrai la liberté de faire une question, dit