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d’allumer des lampes devant les icônes, tu en allumerais.

— Vous mentez toujours, vous êtes un fort méchant homme, et tout à l’heure je vous ai péremptoirement démontré votre insolvabilité, répondit l’étudiante d’un ton dédaigneux, comme si elle trouvait au-dessous d’elle d’entrer dans de longues explications avec un pareil interlocuteur. — Tantôt je vous ai dit notamment qu’au catéchisme on nous avait à tous enseigné ceci : « Si tu honores ton père et tes parents, tu vivras longtemps, et la richesse te sera donnée. » C’est dans les dix commandements. Si Dieu a cru nécessaire de promettre à l’amour filial une récompense, alors votre Dieu est immoral. Voilà dans quels termes je me suis exprimée tantôt, et ce n’a pas été ma seconde parole ; c’est vous qui, en parlant de vos droits, m’avez amenée à vous tenir ce langage. À qui la faute si vous êtes bouché et si vous ne comprenez pas encore ? Cela vous vexe, et vous vous fâchez, — Voilà le mot de toute votre génération.

— Sotte ! proféra le major.

— Vous, vous êtes un imbécile.

— C’est cela, injurie-moi !

— Mais permettez, Kapiton Maximovitch, vous m’avez dit vous-même que vous ne croyez pas en Dieu, cria du bout de la table Lipoutine.

— Qu’importe que j’aie dit cela ? moi, c’est autre chose ! Peut- être même que je crois, seulement ma foi n’est pas entière. Mais, quoique je ne croie pas tout à fait, je ne dis pas qu’il faille fusiller Dieu. Déjà, quand je servais dans les hussards, cette question me préoccupait fort. Pour tous les poètes il est admis que le hussard est un buveur et un noceur. En ce qui me concerne, je n’ai peut-être pas fait mentir la légende ; mais, le croirez- vous ? je me relevais la nuit et j’allais m’agenouiller devant un icône, demandant à Dieu avec force signes de croix qu’il voulût bien m’envoyer la foi, tant j’étais, dès cette époque, tourmenté par la question de savoir si, oui ou non, Dieu existe. Le matin venu, sans doute, vous avez des distractions, et les sentiments