Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/68

Cette page n’a pas encore été corrigée

prendre les droits et les devoirs de la famille, entendus dans le sens que le préjugé courant donne à ces mots ? Voilà la question. Quel est votre avis ?

— Comment, où l’on a pu les prendre ? demanda Nicolas Vsévolodovitch.

— Nous savons, par exemple, que le préjugé de Dieu est venu du tonnerre et de l’éclair, s’empressa d’ajouter l’étudiante en dardant ses yeux sur Stavroguine ; — personne n’ignore que les premiers hommes, effrayés par la foudre, ont divinisé l’ennemi invisible devant qui ils sentaient leur faiblesse. Mais d’où est né le préjugé de la famille ? D’où a pu provenir la famille elle- même ?

— Ce n’est pas tout à fait la même chose…, voulut faire observer madame Virguinsky.

— Je suppose que la réponse à une telle question serait indécente, dit Stavroguine.

— Allons donc ! protesta l’étudiante.

Dans le groupe des professeurs éclatèrent des rires auxquels firent écho, à l’autre bout de la table, Liamchine et le collégien ; le major pouffait.

— Vous devriez écrire des vaudevilles, remarqua la maîtresse de la maison en s’adressant à Stavroguine.

— Cette réponse ne vous fait guère honneur ; je ne sais comment on vous appelle, déclara l’étudiante positivement indignée.

— Mais, toi, ne saute pas comme cela ! cria le major à sa nièce, - — tu es une demoiselle, tu devrais avoir un maintien modeste, et l’on dirait que tu es assise sur une aiguille.

— Veuillez vous taire et ne pas m’interpeller avec cette familiarité, épargnez-moi vos ignobles comparaisons. Je vous vois pour la première fois, et ne veux pas savoir si vous êtes mon parent.

— Mais, voyons, je suis ton oncle ; je t’ai portée dans mes bras quand tu n’étais encore qu’un enfant à la mamelle !

— Et quand même vous m’auriez portée dans vos bras, voilà-t-il pas une affaire ! Je ne vous l’avais pas d