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II

Sans presque dire bonjour à personne, Verkhovensky alla s’asseoir fort négligemment au haut bout de la table. Un insolent dédain se lisait sur son visage. Stavroguine s’inclina poliment. On n’attendait qu’eux ; néanmoins, comme si une consigne avait été donnée dans ce sens, tout le monde feignait de remarquer à peine leur arrivée. Dès que Nicolas Vsévolodovitch se fut assis, la maîtresse de la maison s’adressa à lui d’un ton sévère :

— Stavroguine, voulez-vous du thé ?

— Oui répondit-il.

— Du thé à Stavroguine, ordonna madame Virguinsky. — Et vous, est-ce que vous en voulez ? (Ces derniers mots étaient adressés à Verkhovensky.)

— Sans doute ; qui est-ce qui demande cela à ses invités ? Mais donnez aussi de la crème, ce qu’on sert chez vous sous le nom de thé est toujours quelque chose de si infect ; et un jour de fête encore…

— Comment, vous aussi vous admettez les fêtes ? fit en riant l’étudiante ; — on parlait de cela tout à l’heure.

— Vieillerie ! grommela le collégien à l’autre bout de la table.

— Qu’est-ce qui est une vieillerie ? Fouler aux pieds les préjugés, fussent-ils les plus innocents, n’est pas une vieillerie ; au contraire, il faut le dire à notre honte, c’est jusqu’à présent une nouveauté, déclara aussitôt la jeune fille qui, en parlant, gesticulait avec véhémence. — D’ailleurs, il n’y a pas de préjugés innocents, ajouta-t-elle d’un ton aigre.

— J’ai seulement voulu dire, répliqua avec agitation le collégien, — que, quoique les préjugés soient sans doute des