collégien de dix-huit ans qui paraissait très échauffé ; ce morveux, — on l’apprit plus tard avec stupéfaction, — était à la tête d’un groupe de conspirateurs recrutés parmi les _grands_ du gymnase. Chatoff dont je n’ai pas encore parlé était assis à un coin de la table, un peu en arrière des autres ; silencieux, les yeux fixés à terre, il refusa de prendre du thé et garda tout le temps sa casquette à la main, comme pour montrer qu’il n’était pas venu en visiteur, mais pour affaire, et qu’il s’en irait quand il voudrait. Non loin de lui avait pris place Kiriloff ; muet aussi, l’ingénieur tenait son regard terne obstinément attaché sur chacun de ceux qui prenaient la parole, et il écoutait tout sans donner la moindre marque d’émotion ou d’étonnement. Plusieurs des invités, qui ne l’avaient jamais vu auparavant, l’observaient à la dérobée d’un air soucieux. Madame Virguinsky connaissait-elle l’existence du quinquévirat ? Je suppose que son mari ne lui avait rien laissé ignorer. L’étudiante, naturellement, était étrangère à tout cela, mais elle avait aussi sa tâche ; elle comptait ne rester chez nous qu’un jour ou deux, ensuite son intention était de se rendre successivement dans toutes les villes universitaires pour « prendre part aux souffrances des pauvres étudiants et susciter chez eux l’esprit de protestation ». Dans ce but, elle avait rédigé un appel qu’elle avait fait lithographier à quelques centaines d’exemplaires. Chose curieuse, le collégien et l’étudiante qui ne s’étaient jamais rencontrés jusqu’alors se sentirent, à première vue, des plus mal disposés l’un pour l’autre. Le major était l’oncle de la jeune fille, et il ne l’avait pas vue depuis dix ans. Quand entrèrent Stavroguine et Verkhovensky, mademoiselle Virguinsky était rouge comme un coquelicot ; elle venait d’avoir une violente dispute avec son oncle au sujet de la question des femmes.
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