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je vous tuerai à coups de bâton comme un chien !

Sur ce, il sortit précipitamment de la chambre. Pierre Stépanovitch, qui y entra aussitôt après, trouva le maître du logis dans une disposition d’esprit fort inattendue.

— Ah ! c’est vous ! fit Stavroguine avec un rire bruyant qui semblait n’avoir pour cause que la curiosité empressée de Pierre Stépanovitch. — Vous écoutiez derrière la porte ? Attendez, pourquoi êtes-vous venu ? Je vous avez promis quelque chose… Ah, bah ! je me rappelle : la visite « aux nôtres » ? Partons, je suis enchanté, vous ne pouviez rien me proposer de plus agréable en ce moment.

Il prit son chapeau, et tous deux sortirent immédiatement.

— Vous riez d’avance à l’idée de voir « les nôtres » ? observa avec enjouement Pierre Stépanovitch qui tantôt s’efforçait de marcher à côté de son compagnon sur l’étroit trottoir pavé en briques, tantôt descendait sur la chaussée et trottait en pleine boue, parce que Stavroguine, sans le remarquer, occupait à lui seul toute la largeur du trottoir.

— Je ne ris pas du tout, répondit d’une voix sonore et gaie Nicolas Vsévolodovitch ; — au contraire, je suis convaincu que je trouverai là les gens les plus sérieux.

— De « mornes imbéciles », comme vous les avez appelés un jour.

— Rien n’est parfois plus amusant qu’un morne imbécile.

— Ah ! vous dites cela à propos de Maurice Nikolaïévitch ! Je suis sûr qu’il est venu tout à l’heure vous offrir sa fiancée, hein ? Figurez-vous, c’est moi qui l’ai poussé indirectement à faire cette démarche. D’ailleurs, s’il ne la cède pas, nous la lui prendrons nous-mêmes, pas vrai ?

Sans doute Pierre Stépanovitch savait qu’il jouait gros jeu en mettant la conversation sur ce sujet ; mais lorsque sa curiosité était vivement excitée, il aimait mieux tout risquer que de rester dans l’incertitude. Nicolas Vsévolodovitch se contenta de sourire.