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— Vous vous brûlerez la cervelle, quand on nous mariera ?

— Non, beaucoup plus tard. À quoi bon mettre une éclaboussure de sang sur sa robe nuptiale ? Peut-être même ne me brûlerai-je la cervelle ni maintenant ni plus tard.

— Vous dites cela, sans doute, pour me tranquilliser ?

— Vous ? Ma mort doit vous être bien indifférente.

Un silence d’une minute suivit ces paroles. Maurice Nikolaïévitch était pâle, et ses yeux étincelaient.

— Pardonnez-moi les questions que je vous ai adressées, dit Stavroguine ; — plusieurs d’entre elles étaient fort indiscrètes, mais il est une chose que j’ai, je pense, parfaitement le droit de vous demander : pour que vous ayez pris sur vous de venir me faire une proposition aussi… risquée, il faut que vous soyez bien convaincu de mes sentiments à l’égard d’Élisabeth Nikolaïevna ; or, quelles données vous ont amené à cette conviction ?

— Comment ? fit avec un léger frisson Maurice Nikolaïévitch ; — est-ce que vous n’avez pas prétendu à sa main ? N’y prétendez-vous pas maintenant encore ?

— En général, je ne puis parler à un tiers de mes sentiments pour une femme ; excusez-moi, c’est une bizarrerie d’organisation. Mais, pour le reste, je vous dirai toute la vérité : je suis marié, il ne m’est donc plus possible ni d’épouser Élisabeth Nikolaïevna, ni de « prétendre à sa main ».

Maurice Nikolaïévitch fut tellement stupéfait qu’il se renversa sur le dossier de son fauteuil ; pendant un certain temps ses yeux ne quittèrent pas le visage de Stavroguine.

— Figurez-vous que cette idée ne m’était pas venue, balbutia-t- il ; — vous avez dit l’autre jour que vous n’étiez pas marié… je croyais que vous ne l’étiez pas…

Il pâlit affreusement et soudain déchargea un violent coup de poing sur la table.

— Si, après un tel aveu, vous ne laissez pas tranquille Élisabeth Nikolaïevna, si vous la rendez vous-même malheureuse,