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ire du thé. Il a écouté attentivement, fort attentivement même, toute la nuit.

— Ah ! diable, mais vous allez le convertir à la religion chrétienne !

— Il est déjà chrétien. Ne vous inquiétez pas, il tuera. Qui voulez-vous faire assassiner ?

— Non, ce n’est pas pour cela que j’ai besoin de lui… Chatoff sait-il que vous donnez l’hospitalité à Fedka ?

— Je ne vois pas Chatoff, et nous n’avons pas de rapports ensemble.

— Vous êtes fâchés l’un contre l’autre ?

— Non, nous ne sommes pas fâchés, mais nous ne nous parlons pas. Nous avons couché trop longtemps côte à côte en Amérique.

— Je passerai chez lui tout à l’heure.

— Comme vous voudrez.

— Vers les dix heures, en sortant de chez Virguinsky, je viendrai peut-être chez vous avec Stavroguine.

— Venez.

— Il faut que j’aie un entretien sérieux avec lui… Vous savez, donnez-moi donc votre balle ; quel besoin en avez-vous maintenant ? Je fais aussi de la gymnastique. Si vous voulez, je vous l’achèterai.

— Prenez-là, je vous la donne.

Pierre Stépanovitch mit la balle dans sa poche.

— Mais je ne vous fournirai rien contre Stavroguine, murmura Kiriloff en reconduisant le visiteur, qui le regarda avec étonnement et ne répondit pas.

Les dernières paroles de l’ingénieur agitèrent extrêmement Pierre Stépanovitch ; il y réfléchissait encore en montant l’escalier de Chatoff, quand il songea qu’il devait donner à son visage mécontent une expression plus avenante. Chatoff se trouvait chez lui ; un peu souffrant, il était couché, tout habillé, sur son lit.

— Quel guignon ! s’écria en entrant dans la chambre Pierre Stépanovitch ; — vous êtes sérieusemen