ppelle et je vous attends. En tout cas il me tarde d’avoir votre réponse, car je dois partir très prochainement. Si vous ne me répondez pas, je partirai seul.
« Je n’espère rien de l’Uri ; je m’en vais tout bonnement. Je n’ai pas choisi exprès un site maussade. Rien ne m’attache à la Russie où, comme partout, je suis un étranger. À la vérité, ici plus qu’en un autre endroit j’ai trouvé la vie insupportable ; mais, même ici, je n’ai rien pu détester !
« J’ai mis partout ma force à l’épreuve. Vous m’aviez conseillé de faire cela, « pour apprendre à me connaître ». Dans ces expériences, comme dans toute ma vie précédente, je me suis révélé immensément fort. Vous m’avez vu recevoir impassible le soufflet de votre frère ; j’ai rendu mon mariage public. Mais à quoi bon appliquer cette force, — voilà ce que je n’ai jamais vu, ce que je ne vois pas encore, malgré les encouragements que vous m’avez donnés en Suisse et auxquels j’ai prêté l’oreille. Je puis, comme je l’ai toujours pu, éprouver le désir de faire une bonne action et j’en ressens du plaisir ; à côté de cela je désire aussi faire du mal et j’en ressens également de la satisfaction. Mais ces impressions, quand elles se produisent, ce qui arrive fort rarement, sont, comme toujours, très légères. Mes désirs n’ont pas assez de force pour me diriger. On peut traverser une rivière sur une poutre et non sur un copeau. Ceci pour que vous ne croyiez pas que j’aille dans l’Uri avec des espérances quelconques.
« Selon ma coutume, je n’accuse personne. J’ai expérimenté la débauche sur une grande échelle et j’y ai épuisé mes forces, mais je ne l’aime pas et elle n’était pas mon but. Vous m’avez suivi dans ces derniers temps. Savez-vous que j’avais pris en grippe nos négateurs eux-mêmes, jaloux que j’étais de leurs espérances ? Mais vous vous alarmiez à tort : ne partageant aucune de leurs idées, je ne pouvais être leur associé. Une autre raison encore m’empêchait de me joindre à eux, ce n’était pas la peur du ridicule, — je suis au-dessus de cela, — mais la haine et le mépris qu’ils m’inspiraient ;