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moins comme un homme « doué de facultés géniales ». « Une organisation ! » disent-ils au club, en levant le doigt en l’air. Du reste, tout cela est fortement innocent, et ceux qui parlent ainsi sont le petit nombre. Au contraire, les autres, sans nier l’intelligence de Pierre Stépanovitch, voient en lui un esprit totalement ignorant de la réalité, féru d’abstractions, développé dans un sens exclusif et, par suite, extrêmement léger.

Je ne sais vraiment de qui parler encore pour n’oublier personne. Maurice Nikolaïévitch nous a quittés définitivement. La vieille générale Drozdoff est tombée en enfance… Mais il me reste à raconter une histoire très sombre. Je m’en tiendrai aux faits.

En arrivant d’Oustiévo, Barbara Pétrovna descendit à sa maison de ville. Elle apprit brusquement tout ce qui s’était passé chez nous en son absence, et ces nouvelles la bouleversèrent. Elle s’enferma seule dans sa chambre. Il était tard, tout le monde était fatigué, on alla bientôt se coucher.

Le lendemain matin, la femme de chambre remit d’un air mystérieux à Daria Pavlovna une lettre qui, dit-elle, était arrivée dans la soirée de la veille, mais, comme mademoiselle était déjà couchée, elle n’avait pas osé l’éveiller. Cette lettre n’était pas venue par la poste, un inconnu l’avait apportée à Skvorechniki et donnée à Alexis Egoritch ; celui-ci s’était aussitôt rendu à la ville, avait remis le pli à la femme de chambre, et immédiatement après était retourné à Skvorechniki.

Daria Pavlovna, dont le cœur battait avec force, regarda longtemps la lettre sans pouvoir se résoudre à la décacheter. Elle en avait deviné l’expéditeur : c’était Nicolas Stavroguine. Sur l’enveloppe la jeune fille lut l’adresse suivante : « À Alexis Egoritch, pour remettre en secret à Daria Pavlovna ».

Voici cette lettre :

« Chère Daria Pavlovna,

« Jadis vous vouliez être ma « garde-malade », et vous m’avez fait promettre que je vous appellerais quand il le faudrait.