mais sans fournir aucun détail précis à ce sujet. Les Titoff connaissaient un peu Chatoff et son histoire : ils furent saisis à la vue de cette femme accouchée, disait-elle, depuis vingt-quatre heures seulement, qui, par un froid pareil, courait les rues à peine vêtue, avec un baby presque nu sur les bras. Leur première idée fut qu’elle avait le délire, d’autant plus qu’ils ne pouvaient s’expliquer, d’après ses paroles, qui avait été tué : si c’était son mari ou Kiriloff. S’apercevant qu’ils ne la croyaient pas, elle voulut s’en aller, mais ils la retinrent de force ; elle cria, dit-on, et se débattit d’une façon terrible. On se rendit à la maison Philippoff ; au bout de deux heures le suicide de Kiriloff et son écrit posthume furent connus de toute la ville. La police interrogea l’accouchée, qui n’avait pas encore perdu l’usage de ses sens ; ses réponses prouvèrent qu’elle n’avait pas lu la lettre de Kiriloff, mais alors d’où concluait-elle que son mari était tué aussi ? — À cet égard, on ne put tirer d’elle aucun éclaircissement. Elle ne savait que répéter : « Puisque celui-là est tué, mon mari doit l’être aussi ; ils étaient ensemble ! » Vers midi elle eut une syncope et ne recouvra plus sa connaissance, trois jours après elle expira. L’enfant, victime du froid, était mort avant sa mère. Ne trouvant plus à la maison Philippoff ni Marie Ignatievna, ni le baby, Arina Prokhorovna comprit que c’était mauvais signe et songea à retourner chez elle au plus vite ; mais, avant de s’éloigner, elle envoya la garde malade « demander au monsieur du pavillon si Marie Ignatievna était chez lui et s’il savait quelque chose d’elle ». Cette femme revint en poussant des cris épouvantables. Après lui avoir demandé de se taire au moyen du fameux argument : « On vous appellera devant la justice », madame Virguinsky s’esquiva sans bruit.
Il va de soi que ce matin même elle fut invitée à fournir des renseignements, comme ayant donné des soins à l’accouchée ; mais sa déposition se réduisit à fort peu de chose ; elle raconta très nettement et avec beaucoup de sang-froid tout ce qu’elle-même avait vu et entendu chez Chatoff ;