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que, par suite d’une complication survenue dans l’état du malade, celui-ci se trouvait en grand danger : « Il faut, dit-il, s’attendre au pire. » Durant ces vingt ans Barbara Pétrovna avait insensiblement perdu l’habitude de prendre au sérieux quoi que ce fût qui concernât Stépan Trophimovitch ; les paroles du médecin la bouleversèrent.

— Se peut-il qu’il n’y ait plus aucun espoir ? demanda-t-elle en pâlissant.

— Il n’en reste plus guère, mais…

Elle ne se coucha pas de la nuit et attendit impatiemment le lever du jour. Dès que le malade eut ouvert les yeux (il avait toujours sa connaissance, quoiqu’il s’affaiblît d’heure en heure), elle l’interpella du ton le plus résolu :

— Stépan Trophimovitch, il faut tout prévoir. — J’ai envoyé chercher un prêtre. Vous êtes tenu d’accomplir le devoir…

Connaissant les convictions de celui à qui elle s’adressait, la général craignait fort que sa demande ne fût repoussée. Il la regarda d’un air surpris.

— C’est absurde, c’est absurde ! vociféra-t-elle, croyant déjà à un refus ; — à présent il ne s’agit plus de jouer à l’esprit fort, le temps de ces gamineries est passé.

— Mais… est-ce que je suis malade ?

Il devint pensif et consentit. Je fus fort étonné quand plus tard Barbara Pétrovna m’apprit que la mort ne l’avait nullement effrayé. Peut-être ne la croyait-il pas si prochaine, et continuait-il à regarder sa maladie comme une bagatelle.

Il se confessa et communia de très bonne grâce. Tout le monde, y compris Sophie Matvievna et les domestiques eux-mêmes, vint le féliciter d’avoir reçu les sacrements. Tous, jusqu’au dernier, avaient peine à retenir leurs larmes en voyant le visage décharné, les lèvres blêmes et tremblantes du moribond.

Oui, mes amis, et je m’étonne seulement que vous soyez si… préoccupés. Demain sans doute je me lèverai, et nous…