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— Pour une vaurienne, pour un tyran ? Crois-tu que j’aie fait le malheur de sa vie ?

— Comment cela serait-il possible, alors que vous-même pleurez ?

Des larmes mouillaient, en effet, les paupières de Barbara Pétrovna.

— Eh bien, assieds-toi, assieds-toi, n’aie pas peur. — Regarde- moi encore une fois en face, entre les deux yeux ; pourquoi rougis- tu ? Dacha, viens ici, regarde-la : qu’en penses-tu ? son cœur est pur…

Et soudain la générale tapota la joue de Sophie Matvievna, chose qui effraya celle-ci plus encore peut-être qu’elle ne l’étonna.

— C’est dommage seulement que tu sois sotte. — On n’est pas sotte comme cela à ton âge. C’est bien, ma chère, je m’occuperai de toi. Je vois que tout cela ne signifie rien. Pour le moment reste ici, je me charge de ton logement et de ta nourriture ; tu seras défrayée de tout… en attendant, je prendrai des informations.

La colporteuse fit remarquer timidement qu’elle était forcée de partir au plus tôt.

— Rien ne te force à partir. — J’achète en bloc tous tes livres, mais je veux que tu restes ici. Tais-toi, je n’admets aucune observation. Voyons, si je n’étais pas venue, tu ne l’aurais pas quitté, n’est-ce pas ?

— Pour rien au monde je ne l’aurais quitté, répondit d’une voix douce, mais ferme, Sophie Matvievna qui s’essuyait les yeux.

Le docteur Zaltzfisch n’arriva qu’à une heure avancée de la nuit. C’était un vieillard qui jouissait d’une grande considération, et un praticien expérimenté. Peu de temps auparavant, une disgrâce administrative lui avait valu la perte de sa position dans le service, et, depuis lors, Barbara Pétrovna s’était mise à le « protéger » de tout son pouvoir. Il examina longuement Stépan Trophimovitch, questionna, puis déclara avec ménagement à la générale