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in. Sa frayeur fut telle qu’elle se mit à trembler de tous ses membres. Barbara Pétrovna la saisit par le bras comme un milan fond sur un poulet, et, d’un mouvement impétueux, l’entraîna auprès de Stépan Trophimovitch.

— Eh bien, tenez, la voilà. Je ne l’ai pas mangée. Vous pensiez que je l’avais mangée.

Stépan Trophimovitch prit la main de Barbara Pétrovna, la porta à ses yeux, puis, dans un accès d’attendrissement maladif, commença à pleurer et à sangloter.

— Allons, calme-toi, calme-toi, allons, mon cher, allons, batuchka ! Ah ! mon Dieu, mais calmez-vous donc ! cria avec colère la générale. — Oh ! bourreau, mon éternel bourreau !

— Chère, balbutia enfin Stépan Trophimovitch en s’adressant à Sophie Matvievna, — restez-là, chère, j’ai quelque chose à dire ici…

Sophie Matvievna se retira aussitôt.

Chérie… chérie… fit il d’une voix haletante.

— Ne parlez pas maintenant, Stépan Trophimovitch, attendez un peu, reposez-vous auparavant. Voici de l’eau. Mais attendez donc !

Barbara Pétrovna se rassit sur la chaise. Le malade lui serrait la main avec force. Pendant longtemps elle l’empêcha de parler. Il se mit à baiser la main de la générale tandis que celle-ci, les lèvres serrées, regardait dans le coin.

Je vous aimais ! laissa-t-il échapper à la fin. Jamais encore Barbara Pétrovna ne l’avait entendu proférer une telle parole.

— Hum, grommela-t-elle.

Je vous aimais toute ma vie… vingt ans !

Elle se taisait toujours. Deux minutes, trois minutes s’écoulèrent ainsi.

— Et comme il s’était fait beau pour Dacha, comme il s’était parfumé !… dit-elle tout à coup d’une voix sourde mais menaçante, qui stupéfia Stépan Trophimovitch.

— Il avait mis une cravate