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de toute secousse morale. La pauvre Sophie Matvievna fut sur pied toute la nuit. Comme, pour donner ses soins au malade, elle était obligée de traverser assez souvent la pièce voisine où couchaient les voyageurs et les maîtres de l’izba, ceux-ci, troublés dans leur sommeil par ces allées et venues, manifestaient tout haut leur mécontentement ; ils en vinrent même aux injures lorsque, vers le matin, la colporteuse s’avisa de faire chauffer du thé. Pendant toute la durée de son accès, Stépan Trophimovitch resta dans un état de demi-inconscience ; parfois il lui semblait qu’on mettait le samovar sur le feu, qu’on lui faisait boire quelque chose (du sirop de framboises), qu’on lui frictionnait le ventre, la poitrine. Mais, presque à chaque instant, il sentait qu’elle était là, près de lui ; que c’était elle qui entrait et qui sortait, elle qui l’aidait à se lever et ensuite à se recoucher. À trois heures du matin le malade se trouva mieux ; il quitta son lit, et, par un mouvement tout spontané, se prosterna sur le parquet devant Sophie Matvievna. Ce n’était plus la génuflexion de tout à l’heure ; il était tombé aux pieds de la colporteuse et il baisait le bas de sa robe.

— Cessez, je ne mérite pas tout cela, bégayait-elle, et en même temps elle s’efforçait d’obtenir de lui qu’il regagnât son lit.

— Vous êtes mon salut, dit-il en joignant pieusement les mains devant elle ; — vous êtes noble comme une marquise ! Moi, je suis un vaurien ! oh ! toute ma vie j’ai été un malhonnête homme !

— Calmez-vous, suppliait Sophie Matvievna.

— Tantôt je ne vous ai dit que des mensonges, — pour la gloriole, pour le chic, pour le désoeuvrement, — tout est faux, tout jusqu’au dernier mot, oh ! vaurien, vaurien !

Comme on le voit, après la cholérine, Stépan Trophimovitch éprouvait un besoin hystérique de se condamner lui-même. J’ai déjà mentionné ce phénomène en parlant de ses lettres à Barbara Pétrovna. Il se souvint tout à coup de Lise, de sa rencontre avec elle le matin précédent : « C’était si