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je me sens immédiatement porté à pardonner à tous mes ennemis…

— Eh bien ! c’est ce qu’il faut.

— Pas toujours, chère innocente. L’Évangile… Voyez-vous, désormais nous le prêcherons ensemble, et je vendrai avec plaisir vos beaux livres. Oui, je sens que c’est une idée, quelque chose de très nouveau dans ce genre. Le peuple est religieux, c’est admis, mais il ne connaît pas encore l’Évangile. Je le lui ferai connaître… Dans une exposition orale on peut corriger les erreurs de ce livre remarquable que je suis disposé, bien entendu, à traiter avec un respect extraordinaire. Je serai utile même sur la grande route. J’ai toujours été utile, je le leur ai toujours dit, à eux et à cette chère ingrate... Oh ! pardonnons, pardonnons, avant tout pardonnons à tous et toujours… Nous pourrons espérer que l’on nous pardonnera aussi. Oui, car nous sommes tous coupables les uns envers les autres. Nous sommes tous coupables !…

— Tenez, ce que vous venez de dire est fort bien, me semble-t-il.

— Oui, oui… Je sens que je parle très bien. Je leur parlerai très bien, mais, mais que voulais-je donc dire d’important ? Je perds toujours le fil et je ne me rappelle plus… Me permettez- vous de ne pas vous quitter ? Je sens que votre regard et… j’admire même vos façons : vous êtes naïve, votre langage est ingénu, et vous versez votre thé dans la soucoupe… avec ce vilain petit morceau de sucre ; mais il y a en vous quelque chose de charmant, et je vois à vos traits… Oh ! ne rougissez et n’ayez pas peur de moi parce que je suis un homme. Chère et incomparable, pour moi une femme, c’est tout. Il faut absolument que je vive à côté d’une femme, mais seulement à côté… Je sors complètement du sujet… Je ne sais plus du tout ce que je voulais dire. Oh ! heureux celui à qui Dieu envoie toujours une femme et… je crois que je suis comme en extase. Dans la grande route même il y a une haute pensée ! Voilà, voilà ce que je voulais dire, voilà l’idée que je cherchais et que je ne retrouvais plus